D’ombre et de silence – Karine Giébel

Karine Giébel - D'ombre et de silence (2017)

Karine Giébel – D’ombre et de silence (2017)

4ème de couv’…

« Écrire une nouvelle, c’est tenter, en quelques lignes, de donner vie à un personnage, de faire passer au lecteur autant d’émotions qu’en plusieurs centaines de pages.
C’est en cela que la nouvelle est un genre littéraire exigeant, difficile et passionnant. »
Karine Giebel
« Partir sans lui dire au revoir.
Parce que je me sens incapable d’affronter ses larmes ou de retenir les miennes.
L’abandonner à son sort.
Parce que je n’ai plus le choix.
(…)
Je m’appelle Aleyna, j’ai dix-sept ans.
Aleyna, ça veut dire éclat de lumière.
(…)
J’ai souvent détesté ma vie.
Je n’ai rien construit, à part un cimetière pour mes rêves.
Là au moins, on ne pourra pas me les voler. »

Mon ressenti de lecture…

Ce recueil de huit nouvelles est essentiellement axé sur la femme. La maman célibataire, l’adolescente fragile, la jeune musulmane, la réfugiée sans papier, l’épouse en fin de vie ou encore la femme traquée.
La femme, gibier et victime de l’homme, sa proie la plus convoitée depuis la nuit des temps… Ou plus rarement la femme aimée jusqu’à la mort…
Il n’y a que deux nouvelles centrées sur un homme avec J’ai appris le silence et L’homme en noir.

« Aleyna » est une nouvelle déjà découverte dans un autre recueil, 13 à table!, mouture 2016. Donc pas de surprise mais cette histoire m’avait bouleversée et je l’ai relue avec plaisir.
Une histoire de famille, de fratrie bien sûr, mais surtout un récit sur le poids de la religion musulmane, des traditions, des crimes d’honneur mal placé, du drame et de l’horreur indicible que vivent tant de jeunes femmes encore au XXIe siècle! Une petite histoire percutante sur un mariage arrangé forcé, qui nourrit la rage devant ces victimes et la vigilance féminine de la femme occidentale.

« Aurore » est une histoire qui nous parle du mal être adolescent, ou l’âge gouverné par des émotions brutes quand un jour est merveilleux et le lendemain un enfer!
Un frère et une sœur qui, dans l’absolu, ne manquent de rien matériellement, sont élevés dans une famille classique au niveau social correct mais qui, psychologiquement, sont fragiles par manque cruel d’attention de leurs parents, trop centrés sur leur nombril, leur travail et leurs engueulades.
J’ai relevé un petit clin d’œil pour un de ses personnages de Terminus Elicius, lors d’un trajet en train d’Alban.
Une histoire touchante qui nous renvoie à cette époque d’hyper-sensibilité qui peut s’avérer bien dramatique!

« Ce que les blessures laissent au fond des yeux » est une nouvelle qui m’a instantanément évoqué « L’intérieur », une autre nouvelle découverte dans le recueil Crimes au musée et qui figure également plus loin dans ce même livre.
De la difficulté à être maman célibataire, a fortiori quand on est une réfugiée pour l’un des deux personnages principaux, et de se retrouver à la merci de prédateurs masculins abjects dans une société qui n’est guère présente, significativement, pour elles.
Récit lu avec la rage au ventre et un sentiment de tristesse dégoûté malgré une solidarité et une amitié féminine des plus belles.

« J’ai appris le silence » est également une nouvelle découverte dans un autre recueil, 13 à table! de l’édition 2017. Un petit bijou de sadisme vengeresque!
Parce que j’ai appris le silence.
Parce que j’ai appris la peur.
Parce que j’ai appris l’endurance.
Parce que j’ai appris la prudence.
Mais j’ai appris à supporter bien pire.
Une vengeance à assouvir pour fêter un anniversaire. Faire payer. Faire souffrir. Faire mourir.
Mais réaliser ses fantasmes est-il si jouissif?

« L’été se meurt » ou quand une femme suscite une passion possessive mortelle. Elle est la proie, elle ne le sait pas. Il est le chasseur et compte bien laisser son empreinte… au moins dans ses tous derniers moments d’existence.
Suspens jouissif et effrayant au final qui nous prend à rebrousse poil!

« L’homme en noir » est une histoire sombre de vengeance mal placée. Comme pour le précédant récit, Karine Giébel surprend par la chute accordée à cette quête de justice. J’ai beaucoup aimé ce personnage qui n’arrive pas à assumer son traumatisme passé et voit l’homme en noir peut-être comme sa propre rédemption, en vain…

« L’intérieur » est une nouvelle violente dans son analyse sociale du marché du travail actuel, alors que les plus faibles de notre société alimentent le nouvel esclavage moderne, juste pour survivre. Et quand la victime est une maman célibataire, on lit cette nouvelle malheureusement pas si fictionnelle que cela avec la rage au ventre.
Comme précisé plus haut, c’est une nouvelle qui figure également dans le recueil Crimes au musée.

« Le printemps de Juliette » clôture avec grande émotion ce recueil sombre et violent. Une insondable douceur pour l’amour sincère entre un homme et son épouse, pour le meilleur mais aussi le pire. Quand la finalité de la vie reste toujours et à jamais la mort…

Je suis forcément un peu déçue que les huit nouvelles n’aient pas été huit réelles découvertes mais une déception vite oubliée tant la plume incisive de Karine Giébel est énivrante! Des mots sombres qui claquent et qui atteignent leur cible immanquablement. Comme à son habitude, Karine Giébel réussit à nous captiver avec ces récits courts et efficaces.

Citations…

« Je n’ai rien construit, à part un cimetière pour mes rêves.
Là au moins, on ne pourra pas me les voler.
Parfois, le soir, je leur rends visite dans leur dernière demeure et j’exhume les plus beaux, les plus fous. Ou les plus simples. »
Aleyna.

« Mes meilleurs amis sont d’encre et de papier. Ces héros et héroïnes qui peuplent les romans et traversent ma vie en y laissant des traces.
Indélébiles si l’auteur est doué. »
Aleyna.

« Mais qu’est-ce que ça veut dire, au juste? Être comme les autres… Entrer dans le moule, même s’il est trop à l’étroit pour nous. Ne dépasser ni en hauteur ni en largeur, n’avoir aucun relief, aucune aspérité que les autres pourraient saisir pour vous mettre par terre et vous rouer de coups.
Une branche lisse, blanche si possible, et qui sait plier au vent.
Être comme les autres, ou considéré comme tel. Autrement dit faire semblant d’être comme eux, pour ne pas attirer l’attention. »
Aurore.

« Non, je ne trouve pas les mots. Je ne suis plus capable d’écrire. Sans doute parce que le bonheur, contrairement à la douleur, n’a pas de mots. Pas de phrases.
Il se vit, il ne s’écrit pas. »
Aurore.

« De longs silences, car ce qui compte, ce ne sont pas les mots.
Ce sont les actes. »
Ce que les blessures laissent au fond des yeux.

« Je ne suis plus personne… Mais quelle importance? »
J’ai appris le silence.

« Vous allez savoir ce que ça fait d’appeler au secours sans que personne ne vous entende. »
J’ai appris le silence.

« Pendant de longues secondes, je savoure l’instant. Cette sensation de toute puissance. Ce sentiment, incomparable, de maîtriser la situation.
De dominer l’autre. »
L’été se meurt.

« Parce que je l’aime comme personne ne l’a jamais aimée. Parce qu’elle a cette chance.
Pourtant elle est mon malheur.
Et dans quelques minutes, je vais devenir le sien. »
L’été se meurt.

« Je suis devenu un homme, j’ai réussi à reconstruire quelque chose sur les cendres que tu as laissées derrière toi. J’ai ressuscité après que tu m’as tué.
Je suis en vie et toi, tu vas mourir. »
L’homme en noir.

« Elle a passé une partie de sa vie à photographier le monde pour l’offrir aux yeux de ceux qui n’avaient pas la chance de le connaître.
En immortaliser la vénusté, la laideur. L’horreur comme la douceur. Mettre sur papier le courage, la lâcheté. Ici, le sourire d’une mère tenant dans ses bras son enfant qui vient de mourir sous les bombes d’une guerre dont il ne connaît rien. Là, le sourire d’une fillette qui prend le chemin de l’école.
La famine, l’opulence. Le désert, la surpopulation. L’abandon, les retrouvailles, la vieillesse ou la naissance. Des baisers volés aux quatre coins de la planète, des cris, des pleurs.
Juliette a su capter tous ces instants, ces moments. »
Le printemps de Juliette.

Note: 3/5

Blog Note 3

11 réflexions au sujet de « D’ombre et de silence – Karine Giébel »

    • Tu sais, à la base, les nouvelles et moi, on n’a jamais été trop copines! Mais surtout un peu déçue que toutes ne soient pas inédites! Mais ne t’y trompe pas, la dame est excellente! 😉

      • Je ne suis pas très nouvelles non plus, mais lorsqu’elles sont bien faites, oui, et comme j’apprécie la dame, je vais me faire une joie de les lires, n’ayant jamais lu de nouvelles chez elle… l’inédit sera u rdv pour moi !

      • Quand je vois comment certains réagissent lorsqu’on dit qu’on a pas aimé une lecture (avec critique argumentée), punaise, tu dirais des roquets lâchés sur des lapins !! À croire que pour certains auteurs, on ne puisse pas dire qu’on a pas aimé…

      • Et ce week-end, j’ai eu droit à un auteur perplexe qu’on puisse s’ennuyer les 100 premières pages d’un livre et continuer quand même sa lecture! 😮 On entend de tout! -_- Entre ceux (blogueurs entr’autres) qui s’érigent en morale bien pensante de la blogosphère, ceux qui t’attendent avec la corde si tu dis un mot de travers et les autres, je vais finir par m’exiler loin d’ici! 😀

      • Ben on a commencé, on aimerait savoir comme le roman se termine, alors de temps en temps, on s’accroche et on continue, tout en sautant des pages, parfois 🙂

        Quand je vois que ça part en couilles sur un post, je fous le camp de là ! On ne peut pas résonner une personne qui ne veut rien entendre. Et j’ai vu passer sous mes yeux des phrases… heu ? Comment dire ?? Violentes pour si peu !

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