
Jussi Adler-Olsen – L’Unité Alphabet (2018)
4ème de couv’…
L’Unité Alphabet est le service psychiatrique d’un hôpital militaire où, pendant la Seconde Guerre mondiale, les médecins allemands infligeaient d’atroces traitements à leurs cobayes, pour la plupart des officiers SS blessés sur le front de l’Est.
Bryan, pilote de la RAF, y a survécu sous une identité allemande en simulant la folie.
Trente ans ont passé mais, chaque jour, il revit ce cauchemar et repense à James, son ami et copilote, qu’il a abandonné à l’Unité Alphabet et qu’il n’a jamais retrouvé.
En 1972, à l’occasion des jeux Olympiques de Munich, Bryan décide de repartir sur ses traces.
Sans imaginer que sa quête va réveiller les démons d’un passé plus présent que jamais.
Mon ressenti de lecture…
Ne cherchez pas, ce n’est pas un tome de la série des Enquêtes du Département V, ce livre en est totalement indépendant!
Dans la note de l’auteur, en fin de roman, la première phrase est « Ce livre n’est pas un roman de guerre ».
Soit.
Mais l’auteur a choisi de situer son action pendant la Seconde Guerre Mondiale, ses personnages principaux sont des soldats et le personnel infirmier d’un hôpital psychiatrique militaire, et la scène d’introduction est une mission de reconnaissance en terrain ennemi.
Donc on est quand même un peu dans un roman de guerre, a fortiori quand l’auteur nous parle de la manière dont les médecins nazis traitaient les malades mentaux, évoque la constitution de jolis butins par vols et spoliations des civils et pays belligérants et la manière dont certains nazis ont eu le talent de s’offrir une nouvelle virginité après la guerre.
Mais Jussi Adler-Olsen a raison, L’Unité Alphabet est avant tout une histoire de trahison. Trahison envers sa patrie quand les soldats simulent la folie pour échapper aux zones de combat, trahison de l’homme qui fomente une évasion en laissant son ami derrière, trahison envers soi-même quand on reste confiné dans sa passivité.
La première partie du roman est un huis clos infernal, pesant, anxiogène et agaçant d’impuissance. Bryan et James se sont retrouvés coincés dans un wagon empli de blessés de guerre atteints de divers troubles mentaux. Destination le service psychiatrique d’un hôpital militaire au cœur de la Forêt Noire sans aucun espoir d’évasion.
Le moindre geste, une unique parole, le plus petit regard… chaque instant peut marquer la fin de leur fuite.
Être démasqué en qualité d’ennemi, c’est une sentence de mort.
Être démasqué en tant que simulateur de folie, c’est une sentence de mort. L’enfermement est une chose mais Bryan et James vont aussi subir une médication lourde et une thérapie par électrochocs. Des agressions médicales répétées portées à leur intégrité psychologique et physique.
Comment ne pas craquer? Ne pas devenir fou?
A fortiori quand vos petits copains de dortoir vous épient, vous maltraitent pour mieux dissimuler leur propre forfaiture?
A fortiori quand les infirmières, le personnel médical et les gardiens vous malmènent et vous considèrent comme des coquilles vides, indignes d’être encore des êtres humains.
Outre la peur de voir l’identité de Bryan et James dévoilée, ces passages vous serrent les tripes à la lecture de leurs conditions de survie. On imagine aisément le quotidien de ces aliénés, ces malades mentaux ou ceux atteints de simples traumatismes. Les expérimentations sont juste évoquées sans être approfondies mais nous voyons le résultat: des hommes dépossédés de toute lucidité et de toute volonté.
Mais Bryan va s’en sortir. Pas James.
Trente ans plus tard, la guerre est un lointain souvenir.
Enfin, pas pour tous.
Si Bryan est rentré au pays, s’est construit une existence aisée et relativement heureuse, il n’en a pas pour autant oublié son ami, James. Il a essayé de le retrouver. En vain.
Les Jeux Olympiques d’été de 1972 se déroulant à Munich est l’occasion pour Bryan de remettre les pieds en Allemagne pour la première fois depuis la guerre et de relancer ses recherches sur le destin de James.
Événement anecdotique et accessoire que ces JO, rappelant douloureusement la Seconde Guerre Mondiale puisque les JO de Munich ont été marqué par la prise d’otages d’athlètes israéliens qui se soldera par leur mort. Anecdotique et accessoire car les preneurs d’otages ne sont pas des nazis mais des palestiniens.
Cette seconde partie de roman se déroule comme une enquête de police. D’indices en filature, Bryan se trouve confronté à son passé, à des individus qu’il aurait préféré ne plus croiser, à un danger de mort qu’il pensait écarté. Et le vide de 30 ans se comble peu à peu pour lever le voile sur la vérité, l’atroce vérité.
Si le rythme n’est globalement pas trépidant, je n’ai pourtant pas pu lâcher ce roman. Pour la curiosité de l’évolution mentale de James et Bryan dans les dramatiques circonstances de leur survie, pour l’envie et l’espoir d’un happy end, pour ces portraits de nazis vraiment antipathiques qui ont su profiter du chaos et rebondir après-guerre sur le matelas confortable de leur butin de guerre sans jamais être inquiétés pour leurs exactions passées… jusqu’à un certain point.
Si je devais relever un bémol, il concernerait la confrontation entre James et Bryan que j’aurais aimé voir approfondi et étoffé puisque l’auteur a installé un contexte psychiatrique au départ de son roman. Mais c’est un léger bémol!
Une lecture passionnante donc, et je suis ravie d’avoir découvert la plume de Jussi Adler-Olsen dans ses débuts dans l’écriture!
Citations…
« Une nuit comme celle-ci, tout le monde était éveillé. Chaque détonation pouvait signifier qu’un père, un mari, un fils ne reviendrait pas.
Une nuit comme celle-ci, chacun apprenait à prier. »
« Cette croix rouge perdait toute signification à partir du moment où elle figurait sur du matériel de guerre ennemi. Le symbole de la compassion avait été dénaturé depuis bien longtemps. »
« C’était juste une preuve supplémentaire que la haine engendre la haine qui engendre la haine dans une suite prévisible d’imprévisibilité. »
« Ils allaient être démasqués. Une équation simple avec pour seules inconnues le moment et le lieu où cela arriverait. »
« C’était la marche des blessés, un catalogue de pansements, d’écharpes, de béquilles et de cannes.
Des soldats d’élite. Une cohorte de preuves vivantes qu’une guerre ne se gagnait pas sans effusion de sang. »
« Une nouvelle fois, le hasard aurait un rôle à jouer. Mais il ne pouvait pas le laisser décider de son sort. Pas s’il pouvait l’en empêcher. »
« Une ville prospère.
Il s’attendait à ce que les façades du centre-ville soient encore défigurées par les bombardements. (…) La ville était animée, coquette, parfaitement restaurée, rebâtie, multiple et accueillante.
Ce constat mettait Bryan mal à l’aise. La dette au passé était encore trop lourde pour autoriser tant de légèreté. Le tribut à la guerre pas assez visible à son goût. »
« Le passé était le passé, les images qu’il lui avait laissées dans la tête ne disparaîtraient pas, même si le temps les avait altérées. »
« La révélation qu’il fallait être deux pour être amis, mais un seul pour trahir, se posa sur le bord de la falaise, oscilla une seconde dans une clarté surnaturelle, puis bascula dans le vide, ne laissant derrière elle que le présent. »
Le genre de livre que j’affectionne. Super chronique, merci !
Avec plaisir et… bonne lecture! 😀
Dès que mon mois américain est terminé, faudra que j’aille au Danemark, moi 🙂 On dirait qu’il y a quelque chose de pourri au royaume de Jussi Adler (Irene).
Je pense que ta visite au Danemark sera intéressante, royaume pourri ou pas! 😉 Tu es parente? 3:)
Oui, c’était mon ancêtre ! mdr
J’aime voyager au Danemark avec le département V ou tout simplement avec d’autres, et là, le sujet m’intéresse. De plus, j’ai lu des avis divergents, donc, faut que je tranche dans ma tête 🙂
J’ai vu aussi passer des avis contraires! Donc à toi de voir et je suis curieuse de ton avis! 😉
PS: Tant que tu ne te tranches pas la tête, ça me va! :p
Je ne tranche plus les têtes, trop salissant ! Tu ne risques rien.
Oui, je vais le lire et savoir de quel côté je vais pencher 🙂