
Andrej Umansky – La Shoah à l’Est – Regards d’Allemands (2018)
4ème de couv’…
2,2 millions.
C’est le nombre minimum de Juifs exterminés en territoire soviétique occupé par les nazis – la majorité par balles – lors de la Shoah entre 1941 et 1944. Des milliers d’exécutions se déroulèrent de la Galicie orientale en Ukraine jusqu’aux rives de la mer Baltique, les forêts moscovites et les confins du Caucase.
Femmes, hommes et enfants furent fusillés aux abords des villes et villages.
Non pas en secret, mais en public.
La Shoah à l’Est se déroule toujours devant des spectateurs: un employé civil, un soldat curieux ou même l’enfant d’un bourreau. Allemands pour la plupart, ils racontèrent ce qu’ils avaient vu dans des journaux intimes, lettres ou dépositions judiciaires d’après-guerre.
En livrant ces documents exceptionnels, Andrej Umansky met au jour ce regard de passants venus assister, pour un jour parfois, au crime commis contre les Juifs.
Ni bourreaux, ni victimes, ni innocents, ils nous font pénétrer dans la curiosité humaine que suscite le meurtre des victimes de la Shoah.
Mon ressenti de lecture…
Dans la 4ème de couv’, on parle de « curiosité humaine » et j’avoue que c’était un peu mon appréhension: lire une compilation voyeuriste d’une des plus grandes tragédies de notre histoire moderne. Mais mon intérêt était porté par le titre « La Shoah à l’Est », je voulais savoir ce qu’elle avait de différente avec celle de l’Ouest.
La différence est la mort infligée par balle pour plus de 80% des victimes. Le rapport à la mort en est-il plus « direct » plus « intime » que celle appliquée derrière les portes closes des chambres à gaz? Elle est surtout plus visuelle et ouverte au public.
Andrej Umansky a consulté un nombre impressionnant d’archives pour catégoriser trois types de témoignages: les bourreaux, les petites mains (chauffeur ou rédacteur de journal de guerre) et les spectateurs (épouse, enfant, citoyen).
Alors c’est vrai qu’on n’échappe pas à ce sentiment de malaise à la lecture de ces descriptions effroyables d’exécutions d’hommes, de femmes, d’enfants, de nourrissons ou de vieillards devenues banales pour ces « curieux » mais il est nécessaire pour susciter une réflexion sur la nature humaine, sur les sentiments et les émotions des témoins de ces morts planifiées.
Je m’attendais à de la sidération et à un traumatisme profond de ces témoins passifs, même si j’avais connaissance de certaines situations atypiques, comme en Pologne, où les locaux apportaient une aide spontanée et généreuse dans la traque des juifs, l’antisémitisme n’étant pas le pré carré et exclusif des nazis.
Mais j’ai été choquée de la distanciation de ces témoignages, de leur froideur, de leur indifférence.
Des êtres totalement désincarnés de toute humanité.
Et nous ne parlons pas essentiellement de soldats, de ces Einsatzgruppen (groupes d’intervention dans les territoires de l’Est, essentiellement composés de SS, spécialisés dans l’assassinat systématique de tout opposant… et des juifs) de sinistre réputation, nous parlons d’une secrétaire, d’une mère de famille, du cuisinier ou du comptable… vous et moi, en somme.
Bien entendu que beaucoup n’ont pas tenu un fusil, n’ont pas tiré de balle, n’ont pas eu le courage ou la folie de s’opposer à ces atrocités mais ces documents sont des lettres, des journaux intimes ou même des interrogations post-guerre où on pourrait s’attendre, légitiment, à l’expression intime d’horreur ou de dégoût…
Mais non, ce n’est pas la norme!
L’abattage en masse d’êtres humains, des civils de surcroît, était normal et même un spectacle!
Écœurée par moments, révoltée, la lecture n’a pas été aisée. Ce recueil effroyable est le témoignage d’une folie généralisée ou de l’abandon de toutes « normes » sociales? À circonstances exceptionnelles, la guerre, l’homme s’est-il débarrassé de toute bonté pour exprimer une nature profonde et viscérale détestable pour se délecter de l’indicible?
Malgré de nombreuses lectures sur la Seconde Guerre Mondiale, les camps de concentration et la Shoah, j’avoue que je reste perplexe devant le comportement dit « humain » et l’ampleur des horreurs commises et/ou acceptées. Et de telles atrocités se sont reproduites depuis, se passent actuellement et continueront encore. C’est incompréhensible que les hommes ne tirent aucune leçon de l’histoire, la nient même avec extrême vigueur et se comportent ainsi.
Voilà pourquoi ce genre d’ouvrages, basés sur des documents réels, va bien au-delà d’une curiosité morbide ou d’un voyeurisme dégradant, c’est une tentative pour que l’Homme n’oublie pas les extrémités inacceptables auxquelles il participe activement, ou pas, pour ne pas les répéter.
Les procès de Nuremberg étaient primordiaux pour essayer de rendre justice et mettre en exergue les crimes de guerre mais visaient seulement et essentiellement quelques grandes figures nazies alors que des ouvrages comme celui-ci dénonce l’ampleur de l’approbation tacite et passive de nombre de témoins anonymes qui, par là même, ont participé à la Shoah. Eux n’auront eu à rendre des comptes qu’à leur conscience et certainement sans beaucoup de condamnation…
Lecture éprouvante et édifiante mais aussi nécessaire d’un point de vue historique, pour le devoir de mémoire, et d’un point de vue quasiment philosophique pour qu’à l’avenir la noirceur de l’âme humaine s’estompe… un peu…
Citations…
« Pour Irène Albrecht comme pour d’autres, la mise à mort des juifs relevait de leur quotidien: on triait le courrier ici, on gazait les Juifs à côté. »
« Tout rouage, aussi petit soit-il, est indispensable pour le fonctionnement de l’horloge. »
Tu paries combien que si ça recommençait, on ne dirait rien ?? « On » dans le sens du peuple au sens large.
Je note le livre, même si je me demande si j’aurais encore le courage de lire pareilles horreurs… Il risque de terminer dans le freezer…
Je parie tout ce que tu veux que tout recommence à l’identique! On en prend le chemin! 😦
On l’a déjà repris ! Depuis 45, il y a eu d’autres massacres, différents, mais massacres tout de même. J’ai pas vu bouger grand-chose… 😦
C’est clair! Regarde les kurdes ou en Afrique… mais cela passe à la trappe, on regarde ailleurs car ce ne sont pas des conflits mondiaux ou que les pauvres victimes ne font pas partie d’un pays « intéressant » pour justifier une intervention internationale! 😦
Oui… on a eu des génocides moins « importants » (pardon aux victimes, je ne minimise pas les souffrances, je parle niveau « comptable ») et on ne les met jamais en lumière, on n’en parle pas, on parle toujours du même. Je trouve qu’en plus de celui des années 30-40, on devrait aussi parler de tous les autres !
Je suis totalement d’accord avec toi, il ne devrait pas y avoir de hiérarchie lorsque nous parlons de génocides. Chacun est l’expression terrible de l’échec de l’Humanité sur cette Terre.
Je veux bien que 6.000.000 est plus impressionnant que 600 mais le résultat est le même : des Hommes se sont organisés pour tuer d’autres Hommes sur base de leur race, religion, nationalité…
Totalement d’accord avec toi, ce n’est pas le chiffre qui compte, c’est la volonté derrière et ce qui l’accompagne!
Mais l’homme est sensible au chiffre… pourtant, on fait toujours l’impasse sur les morts de Staline et de Mao qui dépassent celles du moustachu… On en parle rarement… Soit c’est parce qu’ils les ont tué de manière différente, soit les rescapés n’ont pas droit de parole… Et là, je ne suis pas d’accord.
Je suis ok avec toi, le rideau de fer a trop longtemps « caché » les victimes de l’est alors que les chiffres grimpaient déjà depuis bien avant la WW2, avec les purges du début du siècle… Je ne nie absolument pas les horreurs de la Shoah, au contraire, mais il ne faut pas faire l’impasse sur tous les autres morts inacceptables… -_-
Mais l’Homme s’attache à SES morts à lui, pas à ceux des autres et la Russie ou l’Asie, c’est le bout du monde apparemment.
En Asie, Hitler n’a sans doute pas le même impact que chez nous, tout comme Mao ou Pol Pot n’en a pas de notre côté à nous, alors que pour eux, oui.
Les génocides et consorts sont l’affaire de toute l’humanité et devraient être traités de la même manière mais tu as raison, il est de bon ton de davantage mettre en avant certains et pas d’autres. Et bien entendu, selon ta religion ou ton lieu de naissance, certains impactent davantage et c’est humain. Mais l’Histoire est universelle et ne devrait pas s’attacher à l’un ou l’autre… -_-
Oui, mais elle le fait… On sélectionne ceux dont on va causer, ceux qui impliquent les autres. Chape de plomb sur celui du Rwanda, on ferme sa gueule aussi chez nous sur les exactions commises au Congo, du temps de notre roi barbu. Bruxelles doit beaucoup à ce qui fut volé. Mais ça, ce n’est sans doute pas le plus pire de notre épisode colonial.
Je ne te le fais pas dire! Ce qui me chagrine également c’est que les anciennes colonies n’ont pas su « créer » des états souverains sains depuis… Aucune ancienne puissance colonisatrice n’a les mains propres et sont l’exemple lamentable que le matériel a toujours été la priorité au détriment de l’humain! 😦
Oui, dommage ! Cela donnera du grain à moudre pour les pro-colonialistes en disant qu’au moins avec eux, ça n’allait pas plus mal
Ou te dire, avec aplomb (je l’ai entendu par une femme âgée, fille d’un colon du Congo « Belge ») que ces si les colons étaient violents, c’était parce que ces « sauvages » (pardon) ne comprenaient que ce langage là !!! Je lui avais répondu que si elle venait chez moi sans que je l’aie invitée et qu’elle se la jouait maîtresse de maison et qu’elle faisait de moi une esclave, moi aussi je me rebellerais !
Sale vieille pute ! Et pour elle, c’était normal !! Mon dieu…
Je vais oser la comparaison avec ce que le régime nazi avait instauré: l’existence d’une « race » supérieure… à la différence qu’au lieu d’exterminer les peuples colonisés, nous avons voulu les réduire en esclavage parce que, ô outrage, ils vivaient différemment, avec une autre perception de la vie, une autre culture et ignorait la toute puissance de la religion. Règne de l’intolérance et de l’arrogance du blanc! Des amérindiens aux aborigènes australiens en passant par les africains, tous ont subi cette hégémonie des états blancs qui, soit dit en passant, n’aurait pu s’imposer sans une avancée technologique apportant la destruction par les armes…