
Nuala Ellwood – Ceux qui te mentent (2018)
4ème de couv’…
Kate est reporter de guerre et souffre de stress posttraumatique. À cause, entre autres, d’un enfant qu’elle n’a pas pu sauver à Alep.
Quand elle rentre à Herne Bay pour les obsèques de sa mère, Kate se souvient de cet endroit où tout allait bien jusqu’à la mort de David, son petit frère.
Un accident, dira-t-on. Ensuite plus rien n’a jamais été pareil.
Leur père est devenu violent. Leur mère a perdu la raison. Puis sa sœur, Sally, a sombré elle aussi, malgré l’aide de son mari, Paul.
Dès son retour dans la maison de sa mère, Kate se sent oppressée et abuse des somnifères. Elle entend un petit garçon crier la nuit chez les voisins et ne sait plus ce qui est réel ou le fruit de son imagination torturée.
Alors elle prévient Paul et Sally qui ne la croient pas, la police non plus, il n’y a pas d’enfant chez la voisine qui vit seule.
Pourtant elle l’a vu. Dans le jardin d’à côté. Elle sait qu’il existe…
Mon ressenti de lecture…
Quelle excellente surprise que ce premier roman! Un thriller psychologique comme je les aime dans lequel le lecteur est tout aussi désorienté que le perso principal.
Il faut dire que Kate Rafter ne présente pas grand chose d’équilibré dans sa vie. Le décès de sa maman la renvoie à une enfance traumatique. Elle revient d’un énième séjour sous les bombes d’Alep et qui pourrait bien être le dernier tant celui-ci l’a marqué au plus profond de son cœur. Chris a mis un terme à une liaison vieille de dix ans et sa sœur refuse obstinément de lui parler, préférant se noyer dans l’alcool.
Alcool que Kate ne refuse pas pour ne plus entendre les voix qui la harcèlent, pour ne plus faire ces cauchemars qui l’épuisent…
Heureusement que son beau-frère, Paul, semble avoir les épaules solides pour soutenir son épouse, sa belle-fille, sa belle-sœur et sa belle-mère de son vivant. C’est un ange, cet homme, parmi ces femmes à la dérive!
Le lecteur sait qu’il est arrivé quelque chose car Kate se retrouve en garde à vue, soumise à une expertise psychiatrique et que les chapitres de son interrogatoire alternent avec des souvenirs plus ou moins récents.
Et elle nous balade, Nuala Ellwood! Avec virtuosité et machiavélisme! On y perd nos petits!
L’alcool coule à flots, on gobe les cachets entre éveil et cauchemars et on est bien prêt de perdre la tête aussi sûrement que semble la perdre notre chère Kate. Mais on ne devient pas reporter de guerre sans avoir du caractère. Elle est têtue, butée, ne lâche pas le morceau! Parfois avec maladresse, parfois sous l’emprise du chaos chimique qu’elle ingurgite! Elle se perd, doute, souffre mais le lecteur souffre avec elle.
Elle entend des voix. Sont-elles réelles, ces voix: celle de ce petit garçon dans le jardin d’à côté dont tout le monde nie l’existence, celle de son petit frère, mort, noyé, ou celle, déchirante de ce petit garçon mort sous les balles, dans ses bras. Hallucination, délire médicamenteux ou encore pire, la réalité?
Le rythme n’est pas trépidant mais le suspens est oppressant et l’immersion dans la confusion de Kate est totale. L’auteur nous donne un aperçu de syndrome de stress post traumatique tel que des soldats peuvent connaître ou quand la réalité présente se fond intimement avec les sentiments hallucinatoires portés par les horreurs vécues.
La construction du roman est addictive car elle sème les pièces d’un puzzle qui se forme et se déforme au fil des souvenirs de Kate et de ce qu’elle vit.
Secrets de famille, mensonges, silences, un travail de deuil rendu difficile par les circonstances des morts qui jalonnent son existence, Kate possède toutes les armes pour sombrer, surtout quand ceux en qui elle a confiance, mentent.
Et la vérité, elle l’a veut plus que tout. Elle n’est pas devenue journaliste pour le mensonge, quitte à ce que la réalité dépasse toutes les horreurs que l’on peut imaginer!
Parce que les horreurs sont sur les champs de bataille mais aussi au cœur des petites villas cossues de nos petites villes charmantes…
Cette lecture a été un régal! Un retournement de situation réellement inattendu, une accélération dans le dénouement après tant de pages d’angoisses et de doutes… bravo! C’est un premier roman et cela augure du meilleur pour les prochains!
Nuala Ellwood? Un auteur à suivre, sans conteste!
Citations…
« Là où il y a de la discorde, apportons l’harmonie. Là où est l’erreur, apportons la vérité. Là où il y a le doute, apportons la foi. Là où il y a du désespoir, apportons l’espérance. »
« Je voudrais lui jeter à la figure l’héritage empoisonné qu’il nous a légué, cette gangue de culpabilité et de souffrance, mais il n’y a pas d’exécutoire à ma colère: mon adversaire me fixe de ses orbites vides. Les morts ne peuvent pas répondre. »
« Au contact d’enfants qui ont connu la guerre, on comprend à quel point tout cela est dérisoire. Ils se moquent des frontières et des dissensions, ne sont tenus ni par des liens tribaux ni par des enjeux politiques. Ils désirent simplement jouer, aller à l’école, être en sécurité. »
« Donne-moi tes pauvres, tes exténués, tes masses innombrables aspirant à vivre libres, le rebut de tes rivages surpeuplés. Envoie-les moi, les déshérités, que la tempête me les rapporte. Je dresse ma lumière au-dessus de la porte d’or! »
« Quelle singulière façon de gagner sa vie que de se jeter encore et toujours dans l’œil du cyclone. Les gens croient que nous ne connaissons pas la peur parce que nous allons au cœur des combats au lieu de les fuir, mais jamais je ne prétendrais que je suis courageuse. Être journaliste, pour moi, c’est offrir une voix à ceux qui sont réduits au silence, témoigner de leur histoire et montrer au reste du monde le véritable coût humain de la guerre. »
« Je sens monter en moi une douleur sourde – une souffrance qui ne m’a pas quittée depuis qu’elle est partie. C’est un vide que j’ai rempli d’alcool mais, maintenant que je n’en ai plus, il ne me reste que la douleur. »