
Laurent Malot – Sème la mort (2017)
4ème de couv’…
Le lieutenant Gange repart de zéro, loin de son Jura natal.
Installé à Étampes où vivent désormais son ex et sa fille, il est cantonné aux affaires courantes, jusqu’au jour où un quadruple meurtre secoue la ville.
Un adolescent mutique, couvert de sang, est retrouvé un couteau à la main devant la maison des victimes.
Terrorisme, radicalisation, coup de folie, les médias alimentent la peur.
Mais Gange, sa coéquipière Sam et la psy commise d’office n’y croient pas.
C’est alors que la mort frappe une cinquième fois, ouvrant la porte à d’autres crimes, toujours plus violents…
Mon ressenti de lecture…
Nous retrouvons le lieutenant Mathieu Gange, découvert dans L’abbaye blanche, pour un changement de décor radical: du relief jurassien, nous migrons vers les plaines de la Beauce.
Même si ce deuxième volet peut se lire indépendamment du premier, je conseille toujours de commencer une série par le premier pour simplement s’imprégner de la psychologie du ou des personnages principaux et ne pas passer à côté, par la suite, des nuances et des évolutions subtiles des uns et des autres.
Notre lieutenant de police a dû quitter son Jura adoré, le cœur en berne. Il est séparé de Gaëlle, sa femme; les relations sont tendues et, pour ne pas s’éloigner de sa fille, Marine, il a suivi la « famille » à Étampes, dans l’Essonne.
Changement de décor qui ne l’enchante guère.
De plus sa mutation dans un nouveau commissariat n’a pas été accueillie avec le sourire. Le commissaire Marcoen n’en rate pas une pour lui signifier son antipathie. Gange est hermétique à cette hostilité, effectue son travail sans passion, et ne s’intéresse à rien ni personne.
Seule Marine lui maintient la tête hors de l’eau.
Mais le meurtre sauvage de toute une famille réveille ses instincts de flic…
Terrorisme, œuvre d’un fou ou pire encore?
Le ton est donné dès le départ, Gange n’est plus que l’ombre de lui-même et le roman est plus sombre que l’Abbaye blanche qui était habité de convictions et de révoltes.
On y parle de l’ambiance au travail qui est loin d’être idéale pour Gange et qui mine encore plus une vie privée chaotique. Sujet qui parle à beaucoup d’entre nous et est un thème de plus en plus prégnant dans nos sociétés. Quand un « chef » donne le ton et que tous marchent sur des œufs et se réfugient dans le silence. Mais quand on a du caractère, difficile de supporter cette mentalité nauséabonde et Gange, au mépris de toute convenance, saura affronter la tempête.
On aborde le sujet du mal-être des agriculteurs devenus impuissants à redresser la barre, avec les scandales phytosanitaires parfaitement orchestrés par les lobbies industriels qui étranglent toute une profession condamnée à une rentabilité toujours plus grande, par une mainmise sur les semences imposées à tous et qui provoque la mort lente de notre mère nature et de ses exploitants.
On prend conscience que les démarches en faveur d’une exploitation plus saine et écologique de nos terres se heurtent à ces mêmes lobbies, à ses monstres mondiaux qui musellent toute concurrence.
Entre polar classique et roman noir, l’auteur décrit avec lucidité et justesse l’ambiance de notre société et cette « sensation de fin du monde » qui suinte au quotidien, mais la famille est au cœur de ce roman.
La relation parentale notamment.
Là, c’est un homme désabusé qui ne vibre que lorsque sa fille est à ses côtés. Gange renonce à tout pour le bien-être de sa fille, quitte sa région, demande sa mutation, étouffe ses griefs envers sa future ex-femme.
Et c’est bien souvent nos enfants qui nous raccrochent à une existence pourtant chahutée par les crises de couple et les soucis extérieurs à la cellule familiale.
J’ai aimé ce père qui a à cœur de préserver son enfant, se met en retrait mais se retrouve entravé par des relations conflictuelles d’avec la mère. C’est une affaire à suivre et le climat est loin de s’apaiser quand son métier devient une menace…
Il y a aussi Ethan, un adolescent hors norme, accusé d’un quadruple meurtre et ne lèvera pas le petit doigt pour être disculpé. Ou quand la relation avec le père est d’une toxicité telle qu’elle pousse un jeune esprit à des solutions extrêmes.
Et nous avons l’hyperprotection patholigue de Luna envers son « petit monstre », Rémy, un amour maternel mortifère et aveugle. Un enfermement dans une folie qui peut s’exprimer en toute liberté quand un nom et un compte en banque achètent l’impunité. Mais heureusement que Gange ne se laisse pas corrompre… ni par un mojito, ni par une belle paire de jambes!
La maladie mentale est un thème juste effleuré mais se pose tout de même la question de la difficulté pour les professionnels et les parents à appréhender la dangerosité des malades et le besoin d’un encadrement en institut spécialisé.
Avec Rémy, il faut dire qu’il n’est guère aidé par sa chère maman…
Si les sujets abordés ne sont pas joyeux et sont anxiogènes car douloureusement d’actualité, l’humour n’en est pas pour autant absent, même si parfois caustique!
Samantha Delvaux, Sam, jeune brigadière et collègue de Gange apporte un vent de fraîcheur dans l’intrigue, de part sa jeunesse et ses débuts dans le métier, encore auréolés d’idéalisme nourri aux séries TV et films. C’est une petite pile électrique qui n’a pas sa langue dans sa poche et qui déstabilise à plaisir son collègue trop sauvage, trop sombre et un brin paternaliste!
Le retour d’Helena, la journaliste pétillante, amène également des bourrasques piquantes à Étampes. Même si elle vit également une crise existentielle et envisage une reconversion sans encore être encore totalement décidée à abandonner son envie de dénoncer les travers de ce monde, Helena est énergique, pleine d’espoir et bouscule Gange dans ses plus intimes retranchements.
Et que dire de notre lieutenant, titillé par sa libido, tenté par la plastique de certaines, ou le caractère explosif de l’autre, mais toujours enchaîné à un mariage moribond? J’avoue que son côté paumé, style « je peux toucher ce que je veux mais je ne sais pas si je le souhaite réellement », m’a fait sourire à plusieurs reprises et ajoute un aspect touchant et encore plus humain à ce portrait de flic soumis à tant de doutes, mais qui n’a pas dit son dernier mot.
La plume de Laurent Malot est addictive, avec un dosage parfait entre vie privée et enquête, action et réflexion. Le seul bémol est que j’aurais aimé un roman plus long pour pouvoir approfondir certains aspects de l’intrigue, comme l’écologie, et passer plus de temps sur la psyché d’Ethan, un personnage passionnant mais dont le « traitement » m’aura laissée sur ma faim.
Aaah ouii, et j’ai failli piquer une crise de nerfs quand Datsun, le chiot de Marine, est resté sur le carreau… mais heureusement que les nouvelles apportées en fin de roman étaient rassurantes, sinon… j’aurais sorti les griffes! Surtout après le sort réservé précédemment à quelques chats…
Avec ce polar mâtiné d’un brin de roman noir, j’ai eu grand plaisir à retrouver un Gange paumé comme un poisson hors de son bocal et j’ai hâte de connaître la suite de ses enquêtes. Enfin… surtout pour savoir également à quelle sauce Gaëlle va croquer notre cher Gange et de quelle manière il remettra son existence sur la bonne route…
Car Mathieu Gange est loin d’être résigné…
Citations…
« Dans le monde moderne de l’éphémère, mieux valait accepter la précarité des choses, sous peine de souffrir indéfiniment. »
« Depuis qu’il vivait ici, la vie de Gange s’était vidée de toutes les saveurs qui avaient fait de lui un homme heureux. »
« Parfois, laisser tomber n’avait rien d’une défaite. »
« C’était la même chose avec les attentats; tout le monde connaissait le nom et le visage des terroristes; les victimes, elles, étaient laissées au bon souvenir de leurs familles. »
« La vie de couple était épuisante parce que la vie en société l’était. »
« Dans l’inconscient collectif suintait une sensation de fin du monde. Le populisme et le fascisme gagnaient du terrain. Le terrorisme ouvrait la porte à une troisième guerre mondiale. Le cataclysme écologique planait de plus en plus bas, la pollution ne montrait aucun signe d’amélioration, les abeilles mouraient en masse, la vache folle et la grippe aviaire n’avaient pas dit leur dernier dernier mot. Quant à l’humanité, elle venait de s’effondrer à Alep. »
« Il chercha une échappatoire vers la fenêtre, mais la nuit ne lui renvoya que son reflet d’homme acculé à reconnaître ses erreurs. »
« Les mensonges que l’on se fait à soi-même sont les plus douloureux lorsqu’il faut voir la vérité en face. »
« Risquer sa peau tous les jours érodait les convictions. Frôler la mort les attaquait à la dynamite. »
« Des histoires se défaisaient, d’autres se nouaient, un cycle que rien n’arrêtait, pas même la douleur de ceux qui restaient sur le carreau. »
« – Jamais je n’aurais pensé que mes connaissances historiques pourraient sauver des vies.
– C’est l’ignorance qui tue, le savoir est toujours utile. »
Et retrouvez, sur le blog, mon avis sur L’abbaye blanche, ici!
Tu fais bien de me rappeler que je n’ai pas encore lu l’abbaye blanche !! 😛
Bin voilà, encore deux lectures à ajouter! ❤
Je ne te remercie pas !!!
Oooohhh où est passée ta bonne éducation!?! 😀
Oubliée à ma maison…
Aaarrfff… les valeurs se perdent!! :p 😉
Voui.