Du sang sur le sable – Robert Karjel

Robert Karjel - Du sang sur le sable (2017)

Robert Karjel – Du sang sur le sable (2017)

4ème de couv’…

Djibouti, au creux de la corne de l’Afrique: un soldat suédois est tué sur un champ de tir.

Les services secrets envoient l’agent Ernst Grip sur place pour faire la lumière sur cette mort suspecte, mais il y est traité en intrus par un personnel qui a déjà décidé quelle serait la version officielle des faits.

Pendant ce temps, une famille de quatre Suédois navigant non loin de là, dans le golfe d’Aden, est capturée par des pirates somaliens.
Leur vie est en danger, la pression monte pour le gouvernement, et c’est ainsi qu’Ernst Grip se retrouve bombardé négociateur et doit traiter avec les pirates.

Pour résoudre ces deux affaires, Ernst Grip comprend qu’il va devoir recourir à des méthodes peu orthodoxes.
Mais peut-on se permettre de rester dans les limites de la loi et de la moralité quand des vies humaines sont en jeu?

Mon ressenti de lecture…

Ernst Grip ne dort plus. Il est en deuil de son compagnon, Ben. Un an que cela dure et qu’il a repris son travail de garde du corps des princesses…
Sauf quand le « boss », Tor Didricksen, le convoque. Et là, aucune alternative: on obéit toujours à Tor!

Et voici Grip à suer sous la chaleur de Djibouti, à essayer de démêler le vrai du faux dans ce tir assassin sur un soldat suédois, une simple bavure sur un champ de tir d’entraînement, a priori. Se heurter à la version officielle qui arrange tout le monde ne sera pas de tout repos pour Grip.
Et quand un retour au pays se profile, le voilà en contact avec un médiateur trouble dans une affaire d’enlèvement de civils suédois…

Deuxième volet des aventures de Grip, employé des Services Secrets suédois, après Mon nom est N. que j’avais beaucoup aimé pour l’analyse psychologique des personnages.
Si la psychologie n’est pas absente dans Du sang sur le sable, ce roman est beaucoup plus nerveux et axé sur l’action.

D’un côté, l’enquête officielle sur la mort d’un soldat suédois, nous révèle l’hypocrisie de l’armée pour qui une version trompeuse des faits est plus avantageuse que la vérité pure. Surtout quand ce meurtre couvre un trafic bien juteux et réel.
Ici, il s’agit de l’armée, mais ce genre de décision et de conduite de groupe vaut pour toute grande société… ou même petite.
Les compromissions et les libertés prises pour garder son intérêt et son image en poupe sont légion et l’auteur se fait un plaisir de dénoncer l’éthique élastique de l’être humain.

En Afrique plane sans cesse le spectre de la colonisation et de l’influence, voire de l’ingérence, trouble et tant officielle qu’officieuse des anciennes puissances colonisatrices, des services qu’elles se rendent entre elles au nez et à la barbe des locaux, ou avec leur complicité.
Les ravages du khat, drogue largement consommée par tous, la piraterie moderne, la présence de terroristes de tout bord et les investissements frauduleux extérieurs sont le terreau idéal d’une jungle inextricable mis en scène par Robert Karjel.

C’est ainsi que j’ai beaucoup aimé les passages de conversation avec Judy Drexler, officiellement coordinatrice consulaire américaine et officieusement… allez savoir!
Leurs échanges nous ouvrent la porte de l’atmosphère nébuleuse des rapports internationaux dans la traque des terroristes, du financement d’informateurs aux activités pas très morales, de la corruption des pouvoirs locaux.
La présence importante et active des armées, françaises et américaines notamment, et de sa cohorte de diplomates sont des éléments incontournables pour notre enquêteur suédois!
Le jeu des influences et des intérêts propre à la géo-politique est toujours un sujet passionnant! On y perdrait ses petits tant le discours officiel des nations cache de manigances en coulisses. Passionnant et effrayant car on ne sait plus où se situe la morale, la droiture et la justice.

Grip est plongé dans une enquête chaotique et ne sait lui-même pas où il va. Il tâtonne, avance puis recule, fonce ou se terre dans son hôtel, se permet de plus en plus de libertés avec la Loi. Le danger ne vient pas seulement de l’extérieur mais aussi de l’intérieur.
La lecture est sous tension permanente avec cet électron libre qui ne semble pas du tout contrôler le cours des événements ni même ses propres actions. Et pour cause, les règles en Afrique ne sont pas établies pour être respectées!

L’auteur est un ancien militaire et, à ce titre, est très bien renseigné sur le théâtre africain et le fonctionnement des systèmes étatiques. Mais loin de se cantonner aux sujets qu’il maîtrise de part son passé professionnel, l’auteur a l’ambition de partager aussi des portraits personnels intéressants.

C’est ainsi que le sujet du deuil est très finement analysé avec les doutes, les zones d’ombre et l’isolement de Grip, qui peine à retrouver une place dans sa propre existence, qui n’a pas seulement perdu un compagnon mais aussi un pan de sa vie sociale et de lui-même.

Avec l’enlèvement des Bergenskjöld, c’est les relations familiales qui sont à l’honneur. Les rapports de force devant l’adversité se profilent entre un chef de famille charismatique qui s’effondre, et une singulière critique du monde capitaliste totalement déconnecté des notions de respect, honneur et courage, et une femme qui est avant tout une mère qui saura constamment mener sa barque, mais pas sans en payer le prix.

Ces deux enquêtes sont liées par cet étrange médiateur qu’on ne peut totalement détester pour sa cupidité. Son parcours est dévoilé dans le dernier tiers du roman et aborde le sujet sensible des réfugiés en terre étrangère, de l’exode de certains esprits faibles attirés par les flammes « glorieuses » du jihad et qui déchantent très vite, de la difficulté de s’insérer dans une société et un système qui restent, malgré tous les grands discours de modernité, très hermétique.

En conclusion, je dirais qu’avec le personnage de Grip, Robert Karjel a créé une ambiance complexe très addictive et riche. Les limites et les frontières sont sans cesse remises en question et Grip n’est pas un monolithe aussi froid et méthodique que la 4ème de couv’ le suggère!
À découvrir donc, si ce n’est déjà fait!

Citations…

« Il est nécessaire de porter le deuil, on ne peut pas y échapper. Sinon, on reste piégé dans son chagrin. »

« La vérité est une chose; ce qu’on décide d’en faire est une autre. »

« Comment procédaient les vrais inspecteurs? Grip n’était pas de ce métier. Il faisait disparaître les problèmes, il n’avait pas pour habitude de les résoudre. »

« Le regard qu’il lui lançait ne s’indignait pas de sa détention. Il le suppliait de lui donner un moyen de s’échapper, quand la porte de sortie n’en était pas une. »

« Peu importe la distance qu’on met entre soi et son foyer, impossible de fuir ses propres démons. »

« (…) La société occidentale tout entière repose sur l’idée que la vie humaine est sacrée et que nous sommes tous animés par la volonté de vivre.
– Pourtant vous appliquez encore la peine de mort.
– Précisément. Les pires crimes sont punis de mort. On dira ce qu’on voudra à ce sujet, mais l’objectif principal est de brandir la pire menace imaginable pour dissuader les criminels en puissance de passer à l’acte. »

« (…) Et les drones sont votre riposte?
– Exactement. Si les terroristes sont prêts à tout sacrifier, nous pouvons frapper n’importe où sans prendre le moindre risque. Eux misent tout, et nous rien. (…) Nous avons porté la guerre dans leur arrière-cour et nous n’avons même pas besoin d’être présents en personne. »

« On a vite fait de payer trop cher. Mais nous avons appris que les meilleurs informateurs, ceux qui sont susceptibles de nous servir le plus longtemps, agissent à moitié par conviction et à moitié par cupidité. Ceux qui sont uniquement animés par leurs convictions prennent trop de risques, et les plus avides sont prêts à dénoncer n’importe qui. Alors nous préférons ne pas nous montrer trop généreux. »

Note: 4/5

Blog Note 4

 

21 réflexions au sujet de « Du sang sur le sable – Robert Karjel »

  1. Moi qui était contente d’avoir trouvé les chiens de Détroit, voilà que tu me tentes avec un nouveau roman intéressant.

    Non, je ne te suivrai pas sur ce coup là, trop à lire ! Mais tu en parles bien, de ce livre 😉

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