Le sympathisant – Viet Thanh Nguyen

Viet Thanh Nguyen - Le sympathisant (2017)

Viet Thanh Nguyen – Le sympathisant (2017)

4ème de couv’…

Au Vietnam et en Californie, de 1975 à 1980.
Avril 1975, Saïgon est en plein chaos. À l’abri d’une villa, entre deux whiskies, un général de l’armée du Sud Vietnam et son capitaine dressent la liste de ceux à qui ils vont délivrer le plus précieux des sésames: une place dans les derniers avions qui décollent encore de la ville.
Mais ce que le général ignore, c’est que son capitaine est un agent double au service des communistes.
Arrivé en Californie, tandis que le général et ses compatriotes exilés tentent de recréer un petit bout de Vietnam sous le soleil de L.A., notre homme observe et rend des comptes dans des lettres codées à son meilleur ami resté au pays.

Dans ce microcosme où chacun soupçonne l’autre, notre homme lutte pour ne pas dévoiler sa véritable identité, parfois au prix de décisions aux conséquences dramatiques.
Et face à cette femme dont il pourrait bien être amoureux, sa loyauté vacille… 

Mon ressenti de lecture…

Tout d’abord, je remercie NetGalley et les éditions Belfond pour l’envoi de ce roman dont la 4ème de couv’ m’avait titillée!

Le sympathisant est un petit pavé dense, complexe et riche mais avant tout, c’est la confession d’un bâtard.
Bâtard par sa naissance d’une mère sud-vietnamienne et d’un prêtre français. Il ne sera jamais accepté par les siens.
Bâtard et déraciné de sa terre natale, réfugié aux États-Unis au moment de la débâcle américaine lors de la guerre du Vietnam, dans les années 70. Il ne sera jamais intégré sur sa terre d’accueil et restera orphelin de sa terre d’origine.
Bâtard dans une existence louée à l’idéologie communiste du Vietcong alors que son quotidien est aux côtés des sud-vietnamiens et des américains. En choisissant l’espionnage, il renonce à sa propre essence.
Bâtard, finalement, car il n’a même pas de nom dans ce roman…

La plume de l’auteur est caustique, noire et n’épargne rien ni personne. Si le moteur de cette confession est un passage dramatique de l’Histoire, le conflit vietnamien, elle ne donne aucune leçon: l’ombre et la lumière forme un couple aux facettes changeantes et troubles.

L’Histoire est trop souvent un ramassis de dates indigestes et de résumés stériles alors que l’humain en est le terreau trop souvent occulté.
Avec Le sympathisant, c’est l’intimité d’un chaînon entre les ennemis d’une même terre, vietcongs et sud-vietnamiens, entre deux idéologies opposées, le communisme totalitaire et l’impérialisme américain.
C’est l’intimité de l’enfant de ce couple qui se déchire sans issue.
Si le choc est idéologique, l’auteur analyse finement et souvent avec humour le choc également culturel de l’Orient et de l’Occident. Quand le Sympathisant est nostalgique de sa terre et de ses spécificités sociales, il n’en reste pas moins admiratif de l’américan way of life.
Paradoxe de l’espion qui bataille parfois pour préserver la « pureté » de ses convictions quand il épouse, dans les apparences, une cause opposée…

Où se situe la vérité et les mensonges quand l’homme est déchiré entre ses deux frères de sang, Man et Bon. Man, agent communiste et Bon, bras armé du sud? Quand l’un est à ses côtés et l’autre, resté au pays? Quand la loyauté et l’amitié se disputent la morale?
Quand l’homme vit et s’abreuve au sein capitaliste alors que ses convictions intimes sont inverses?
Quand l’abandon par les alliés d’hier ne résiste pas à l’horreur des camps de rééducation des gagnants d’aujourd’hui?

Ce roman va bien au-delà du choc des idéologies politiques véhiculé par la guerre du Vietnam, c’est une grande fresque humaine de la scène de théâtre hypocrite de la société: les personnages sont les masques interchangeables de chacun. Madame, l’Auteur, le Capitaine, le Général ne sont que les symboles de l’ambivalence identitaire de tout un chacun.
En ne donnant pas de nom à son personnage, l’auteur nous renvoie, à des degrés moindres à nos propres contradictions, au combat entre notre nature profonde, nos convictions intimes et les concessions que nous sommes obligés de d’adopter dans la société dans laquelle nous évoluons. C’est la sphère intime qui s’entrechoque avec l’intérêt général et les girouettes gouvernantes.

Je dois bien avouer que j’ai arrêté ma lecture par certains moments. Les récits à la première personne m’ennuie parfois par leurs longueurs, leur égotisme et leur redondance. Toutefois l’histoire est captivante et l’analyse du déracinement du personnage est passionnante. Elle est faite de mille petits riens et de blessures profondes. C’est le deuil de son statut et de ses repères, l’assassinat d’un passé, un échouage dans l’inconnu, une agression perpétuelle de ses racines et la difficulté à s’intégrer dans un monde qui n’est pas le sien. L’auteur alterne grandes réflexions quasi-philosophiques avec des anecdotes plus légères. Je pense que la scène du calamar restera inoubliable!

Viet Thanh Nguyen évoque avec pudeur et retenue les Boat People, symbole de la répression communiste sur le peuple vietnamien, tout comme le racisme des américains envers les témoins vivants de leur défaite. Que ce soit la politique occidentale ou le communisme révolutionnaire, le sympathisant en dévoile les violences et manipulations, les mensonges et les libertés idéologiques. Les idées volent, s’envolent, endoctrinent, emprisonnent, trahissent et au final, les morts de chaque camp rougissent du même sang la terre qui les porte.

Le sympathisant est un premier roman auréolé du Prix Pulitzer. Je suis totalement allergique aux bandeaux sur les bouquins et prix de toutes sortes. Mais pour le coup, pour sa trame historique, ses réflexions justes et dérangeantes sur l’âme humaine et ses critiques sociétales, je trouve que c’est une récompense justifiée et méritée pour une jeune plume puissante et profonde!

Citations…

« Je suis un espion, une taupe, un agent secret, un homme au visage double. Sans surprise, peut-être, je suis aussi un homme à l’esprit double. »

« Comme me le dit l’adjudant glouton, Dans ce pays, capitaine, un homme n’a pas besoin d’avoir de couilles. Toutes les femmes en ont déjà. »

« Quand il s’était agi d’apprendre les pires méthodes de nos maîtres français et de leurs successeurs américains, nous étions vite devenus les meilleurs élèves. Nous aussi, nous pouvions violer les nobles idéaux! Après nous être libérés au nom de l’indépendance et de la liberté…nous en avions ensuite privé nos frères vaincus. »

« Ce n’est pas la chance qui nous fait réussir ou échouer. On réussit parce qu’on comprend comment fonctionne le monde et ce qu’il faut faire. On échoue parce que les autres le comprennent mieux que nous. »

« (…) je demandais à une des figurantes, une avocate aux traits d’aristocrate, si les conditions de vie dans notre pays étaient aussi mauvaises qu’on le racontait. On va dire ça comme ça, répondit-elle. Avant la victoire des communistes, les étrangers nous brutalisaient, nous terrorisaient et nous humiliaient. Maintenant, ce sont les nôtres qui nous brutalisent, nous terrorisent et nous humilient. Il faut croire que c’est un progrès. »

« … car nous sommes toujours à la fois les mieux placés pour nous connaître et les moins bien placés. Comme si nous avions le nez collé sur les pages d’un livre, avec les mots sous les yeux sans pouvoir les lire. De même qu’une distance est nécessaire pour la lecture, si nous pouvions nous diviser en deux et prendre de la distance vis-à-vis de nous-mêmes, nous pourrions nous voir mieux que quiconque. »

« J’avais un respect absolu pour le professionnalisme des prostituées; elles affichaient leur malhonnêteté avec plus de franchise que les avocats, qui eux aussi facturent à l’heure. »

« J’étais un fils, un mari, un père et un soldat, et aujourd’hui je ne suis plus rien de tout ça. Je ne suis pas un homme, et quand un homme n’est pas un homme, il n’est personne. »

« Je meurs pour quoi? Je meurs parce que le monde dans lequel je vis ne mérite pas qu’on meurt pour lui! Si une chose mérite qu’on meure pour elle, alors ça donne une raison de vivre. »

Note: 4/5

Blog Note 4

NetGalley

6 réflexions au sujet de « Le sympathisant – Viet Thanh Nguyen »

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