4ème de couv’…
Vétéran du front turc et ancien policier, Bernie Gunther, trente-huit ans, est devenu détective privé, spécialisé dans la recherche des personnes disparues.
Et le travail ne manque pas, à Berlin, durant cet été 1936 où les S.A., à la veille des jeux Olympiques, se chargent de rendre la ville accueillante aux touristes.
C’est cependant une mission un peu particulière que lui propose un puissant industriel, Hermann Six: ce dernier n’a plus à chercher sa fille, assassinée chez elle en même temps que son mari, mais les bijoux qui ont disparu du coffre-fort.
Bernie se met en chasse.
Et cet été-là, l’ordre nouveau qui règne sur l’Allemagne va se révéler à lui, faisant voler en éclats le peu d’illusions qui lui restent…
Mon ressenti de lecture…
Premier tome de la trilogie berlinoise, elle-même introduction à la série ayant Bernie Gunther comme personnage récurrent, L’été de cristal m’a procurée les mêmes excellentes sensations que la première fois où je l’ai lu, il y a des années. Une relecture pour une série d’articles sur le blog mais aussi pour partager avec ceux qui ne connaîtraient pas encore, le talent livresque de Philip Kerr!
À l’aube de la quarantaine, Bernie Gunther, a déjà connu la guerre sur le front de l’est, s’est frotté aux pressions professionnelles dans la kripo (Kriminalpolizei, police criminelle, pour les non germanophones), est devenu détective privé car il faut bien gagner son croûton de pain et est spécialisé dans la recherche des personnes disparues.
Une fois n’est pas coutume, il est appelé par un riche industriel, Herr Six, pour retrouver le contenu d’un coffre fort, vidé la nuit de l’assassinat de sa fille et de son gendre et de l’incendie de leur maison.
Est-ce réellement un collier de grande valeur qui est l’objet de la sollicitation de ce client? Quel est l’identité du tueur? Quel est son mobile?
L’affaire se complique quand Gestapo ou anciens collègues de la Kripo trouvent tout intérêt à soudainement s’intéresser de très, trop près à Bernie…
Le contexte historique est passionnant! L’Allemagne de 1936 est déjà sous la coupe des nazis depuis 1933 et se prépare logiquement à une guerre. Laquelle? Nous, nous connaissons leur futur bien sûr mais nous ne le savons pas encore en 1936 et les dirigeants se doivent de garder une vitrine propre car les jeux olympiques d’été ont été confiés à Berlin en 1931 et toute la scène internationale, en ces temps de tensions européennes, aura les yeux braqués sur le pays.
Changements de décorum, façades de pacotille occupent les berlinois mais le fond ne change pas: antisémitisme, xénophobie, propagande de l’idéologie nazie, promotion de la supériorité de la race aryenne sont bien présents.
Bernie en est témoin chaque jour quand nombre de juifs, ou tout opposant au régime, disparaissent plus rapidement que n’apparaissent les bocks de bière sur un comptoir de bar.
La plume de Philip Kerr est addictive. Outre un contexte historique riche et fortement documenté, c’est le ton ironique, un humour caustique, voire parfois cynique, qui vous attrape par la main et ne vous lâche plus!
Les descriptions précises des lieux nous immergent totalement dans le Berlin de l’époque et son atmosphère oppressante.
Et le choix d’un personnage comme Bernie est capital. C’est un homme comme les autres, coureur de jupons, appréciant un bon petit remontant de temps en temps ou même souvent, aux sarcasmes lapidaires, un détective un brin caricatural, cherchant à survivre dans une société à l’ambiance délétère et dont les valeurs évoluent dans un sens auquel il n’adhère pas, ayant conscience qu’il vaut mieux faire profil bas en certaines circonstances, juste ce qui est nécessaire pour ne pas chuter, se noyer dans le flot des purges arbitraires et s’échouer dans un camp.
Car oui, rappelons-le, les camps ne sont pas apparus avec la Seconde Guerre Mondiale mais ont commencé à fleurir et s’épanouir sous le joug de la SA, la SS, la police ou tout autre autorité civile dès 1933!
Bernie doit naviguer dans ces eaux troubles sans vexer personne quand déjà les guerres intestines agitent la SA (Sections d’assaut) et la SS (Garde d’élite du parti nazi), que les rivalités secouent les gros pontes tels Goering ou Goebbels, qu’on ignore si son interlocuteur est un adhérent fanatique de la politique d’Hitler ou une Violette de Mars (opportunistes ayant adhéré tardivement au parti) ou si ses anciens collègues de la kripo (Police Criminelle, je le rappelle) fricotent avec la Gestapo (Geheime Staatspolizei ou police politique) ou reste sous l’égide de la Sipo (Sicherheitspolizei ou police de sûreté chargée de la sécurité intérieure).
La tâche n’est point aisée, de toutes manières, quand, comme Bernie, l’homme a du mal à garder sa langue dans sa poche!
L’intrigue est riche, captivante, rebondit au fil des fausses pistes et avancées de Bernie qui se retrouve parfois, souvent, dans des situations rocambolesques et dangereuses. Aux prises avec une enquête à suspens et délicate, Bernie n’en passera pas moins du bon temps avec certaines rencontres affriolantes…
Cette saga repose donc sur un personnage haut en couleurs, témoin de son temps, un brin charmeur, narquois à l’humour mordant et corrosif… et si vous tombez sous son charme, de très nombreuses heures d’angoisse livresque vous attendent avec cette série.
L’été de cristal est une mise en bouche fine et délicate dans l’horreur de l’Histoire. Incontournable pour tous les passionnés de cette époque… dont je suis!
Citations…
« Si vous n’êtes pas d’accord à cent pour cent avec eux, ils considèrent que vous êtes contre eux. »
« Ma mâchoire s’affaissa et mes yeux faillirent sortir de leurs orbites. Que cette
déesse soit la femme du gnome assis là-haut était une vibrante plaidoirie en
faveur de l’argent. »
« Tu sais bien que le canal est devenu l’égout de la Gestapo. À tel point que, quand quelqu’un disparaît dans cette foutue ville, on le retrouve plus vite en allant voir les éclusiers qu’en allant demander à la police ou à la morgue. »
« Une chose est mystérieuse lorsqu’elle se situe au-delà de la compréhension et du savoir humains, ce qui voudrait dire que mon travail est une pure perte de temps. Or cette affaire est une simple énigme, et il se trouve que j’adore les énigmes. »
« Moi? Je ne sais pas si tu as remarqué, mais je suis un des seuls à ne pas porter d’uniforme dans cette ville. Comment pourrais-je être à la mode? »
« Cet homme n’est soumis à personne. Et il n’a pas peur de dire ce qu’il a sur le cœur. C’est la vertu de l’indépendance. Il n’y a aucune raison pour que cet homme me rende service. Il a le culot de me le rappeler, alors qu’un autre se serait tu. Je peux avoir confiance en un tel homme. »
« — Il n’y a rien de tel que de sentir le souffle de madame la Mort sur votre nuque
pour vous redonner goût à la vie (…). »
« Schemm lâcha le soupir irrité de la vieille bigote qui décèle une odeur de gin dans l’haleine du pasteur. »
« Berlin. J’adorais cette ville autrefois, avant qu’elle ne tombe amoureuse de son propre reflet et se mette à porter les corsets rigides qui l’étouffaient peu à peu. J’aimais la philosophie bon enfant, le mauvais jazz, les cabarets vulgaires et tous les excès culturels de la République de Weimar qui avaient fait de Berlin l’une des villes les plus fascinantes de l’époque. »
« Il n’y a rien de pire que d’attendre, que ce soit le résultat de tests à l’hôpital ou la hache du bourreau. Une seule chose compte: qu’on en termine le plus tôt possible.
C’était d’ailleurs une technique que j’avais moi-même utilisée à l’époque de l’Alex, quand je laissai mijoter longuement des suspects avant de les interroger.
Quand on attend l’imagination prend peu à peu le pas sur tout le reste, et transforme votre cerveau en enfer. »
« Il existe beaucoup de choses qui peuvent libérer l’homme, mais le travail n’en fait certainement pas partie. A vrai dire, au bout de cinq minutes à Dachau, la mort vous paraissait un moyen beaucoup plus sûr que le travail pour gagner votre liberté. »
« Ce n’est qu’à Dachau que je réalisai à quel point l’atrophie de l’Allemagne s’était transformée en nécrose. »
« Comment décrire l’indescriptible? Comment parler de ce qui rend muet d’effroi?
Beaucoup de mes compagnons d’infortune, quoique plus cultivés que moi, étaient incapables de trouver les mots adéquats. C’était un silence né de la honte, la honte de voir les innocents eux-mêmes devenir coupables. Car privé du moindre de ses droits, l’homme redevient une bête. Les affamés chapardent la nourriture d’autres affamés. La survie devient l’unique objectif de chacun, et cette préoccupation prime, et même occulte, l’expérience vécue. »
« Vous vous souvenez de cette époque, Herr Gunther. Les gens ne faisaient pas les distinctions qu’ils font aujourd’hui. Nous étions tous des Allemands, point final. »
Note: 4/5
J’en ai quelques uns de lui que je voudrais bien lire et tu me confortes dans mon envie, me reste plus qu’à me trouver du temps !
Très belle chronique, complète, riche, sur un livre qui l’est tout autant. Je trouve vraiment que Kerr a le chic pour rendre – et faire partager – les ambiances. Même s’il respecte les règles du genre (Bernie ressemble furieusement à certains « privés » du polar américain), on perçoit également la pression morale (doublée d’une pression physique, tout aussi forte) qui marque l’époque et le lieu… Bon, en même temps, je manque d’objectivité : j’adore !
Merci! 🙂 Totalement d’accord avec toi! Idem, manque d’objectivité car je suis sous le charme et chacun de ses romans me captive! Que demander de plus?!?
De plus ? Bah, quelques opus supplémentaires, ce sera déjà pas mal 🙂
Ouiii évidemment, je prends! 😀