L’assassin des ruines – Cay Rademacher

Cay Rademacher - L'assassin des ruines (2017)

Cay Rademacher – L’assassin des ruines (2017)

4ème de couv’…

« Notre société est dévastée, se dit l’inspecteur Stave. Nous, les flics, pouvons seulement déblayer les ruines. »
Hambourg, 1947.
Une ville en ruines, occupée par les Britanniques et confrontée à l’hiver le plus froid du siècle.
Les réfugiés et les sans-logis se retrouvent suite aux bombardements à aménager des trous de cave, à vivre dans la promiscuité des bunkers et des baraques. Les aliments sont rationnés, le marché noir est florissant.

Lorsque le cadavre d’une jeune fille nue est retrouvé parmi les décombres sans aucun indice sur son identité, l’inspecteur Frank Stave ouvre une enquête.
Dans cette période d’occupation, la population hambourgeoise ne doit en aucun cas apprendre qu’un tueur menace la paix.
Les enjeux sont élevés et l’administration britannique insiste pour que l’inspecteur allemand soit accompagné par Lothar Maschke de la Brigade des moeurs et par le lieutenant McDonald pour élucider l’affaire.

Mais d’autres morts sans identité sont vite découverts et Stave, hanté par les souvenirs de sa femme décédée pendant la guerre et de son fils porté disparu, doit surmonter ses propres souffrances pour traquer l’assassin qui rôde sur les sentiers des ruines…

Mon ressenti de lecture…

L’assassin des ruines est le premier roman traduit en français de Cay Rademacher, écrivain allemand. Et c’est aussi le premier de la série ayant pour personnage récurrent Frank Stave.

Frank Stave aborde la quarantaine, reste traumatisé par la mort de son épouse dans les bombardements de Hambourg et recherche un fils soldat porté disparu tout en menant son travail de flic. Hambourg est sous contrôle britannique et Frank va devoir composer avec un militaire anglais pour la résolution de meurtres étranges alors que sévit un hiver des plus terribles…

C’est une excellente découverte!

Ce roman est basé sur des faits authentiques: un tueur des ruines a bien existé à Hambourg et la police lui a attribué quatre assassinats pendant l’hiver 1946-1947. Mais dans la réalité, l’assassin n’a jamais été identifié, contrairement à l’histoire de L’assassin des ruines.

Ce fait divers n’est pas le seul élément historiquement véridique de ce roman. Le quotidien des hambourgeois au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale est fidèlement retranscrit et quelques personnages ne relèvent pas de la fiction.

L’enquête policière en elle-même est très lente et laborieuse: pas d’indices, une logistique compliquée, une identification impossible, aucun témoin. Pourtant les enquêteurs, avec très peu de moyens, restent minutieux et ne ménagent pas leurs efforts.
Bien entendu, la curiosité de connaître le coupable est grande et ce manque de rebondissements et de rythme pourraient en rebuter quelques uns mais ce sont les aléas du métier et cela n’empêche pas une enquête au dénouement surprenant.

Et si le roman est essentiellement centré sur cette énigme, il est passionnant pour bien d’autres aspects, de part ses personnages et le contexte historique.

Le quotidien des civils d’une ville allemande durant le terrible hiver de 46-47 est édifiant. Les privations, la faim, le froid, les ruines toujours en l’état, l’occupation des forces étrangères et la dénazification ne reflètent absolument pas un état de paix revenue.
Les moyens manquent, les hommes également, les personnes déplacées affluent tout comme les orphelins, le marché noir est le seul à se montrer florissant.
Les blessures et les souffrances sont encore vives et la bataille pour la survie est quotidienne.
Ce sentiment de précarité extrême est excellemment bien transcrit au cours de l’histoire et les descriptions des lieux, l’abandon de quartiers entiers, les silhouettes bravant les températures glaciales renforcent davantage encore l’image du délabrement de la ville et du dénuement des êtres humains.

Si survivre au quotidien est difficile, la défaite est aussi bien présente dans les esprits. La présence britannique n’arrange pas les choses mais chacun doit dépoussiérer sa conscience.
L’heure de la vengeance est un fantôme omniprésent.
Chaque allemand est jugé en fonction de son passé sous le joug hitlérien.
Les anciens nazis essayent de sauver leur peau.
Les opportunistes sont les seuls à tirer leur épingle du jeu, évidemment.

Frank Stave et son fils se sont séparés sur du mépris. Frank a juste fait ce qu’il fallait pour ne pas se retrouver dans un camp de concentration alors que le fils s’est porté volontaire pour le Front de l’est dès que son âge le lui a permis.
Il n’est pas revenu.
Et si Frank entame des recherches pour retrouver sa trace, s’il le veut vivant, il n’en a pas moins l’angoisse au cœur de se retrouver face à lui…

Comme chaque allemand peut se retrouver devant un juif, avec les ombres de la guerre au-dessus de leurs têtes et dans le regard.

Ce roman nous parle donc également des orphelins, des traumatisés, des personnes qui ont tout perdu, chassés de chez eux ou de retour dans la ville dévastée. Il soulève le voile d’atrocités que beaucoup aimeraient oublier, les bourreaux pour ne pas payer pour leurs crimes, les victimes pour essayer de guérir, mais que certains vont s’évertuer à poser sur la place publique pour obtenir justice. Et Frank Stave ne sera pas le dernier à empêcher les coupables de retrouver l’anonymat civil en profitant du chaos ambiant.

Entre le parcours personnel de Frank sur fond très documenté de chronique sociale et politique d’après-guerre et les enquêtes policières solides, cette série est prometteuse.
J’ai beaucoup apprécié le style de l’auteur qui a le talent d’équilibrer les différents thèmes abordés, de nous offrir un panel riche de personnages pour avoir un aperçu multiple et riche de ceux qui ont vécu ce même événement de la Seconde Guerre Mondiale et ouvrir pour la suite des perspectives intéressantes.
En tout cas, je suis sous le charme de cette plume allemande et j’ai hâte de lire la suite… dès qu’elle sera traduite et publiée!

Citations…

« Cette sérénité toute récente vient certainement du fait que, depuis la guerre, les femmes sont devenues des soutiens de famille (…) les femmes ont su organiser tout le nécessaire aussi bien que les hommes. Au minimum aussi bien. Mais elles en payent le prix fort, et pas seulement par la fatigue, le surmenage. Bien des mariages n’ont pas tenu quand les hommes sont rentrés après des années de guerre: ils n’ont pas supporté que leurs épouses se débrouillent mieux qu’eux dans ce monde étranger de ruines et de marchés clandestins. »

« De toute façon, après douze années de censure brune, plus personne ne croit ce qui est écrit dans les journaux. »

« Des brevets d’invention après vingt millions de morts? Quel est l’intérêt de gagner une guerre? Jadis, on détruisait les temples des vaincus, aujourd’hui nous nous approprions leurs savoirs. L’un dans l’autre, un prix loyal pour les ravages que vos compatriotes ont faits dans le monde entier. Disons que c’est de bonne guerre. »

« Plus vite ils parlent, plus vite nous les renvoyons chez eux. Nous ne sommes pas des barbares. Nous n’avons pas besoin d’utiliser les méthodes de la Gestapo. Nous attendons. La plupart du temps, nos candidats collaborent dès le premier jour et nous confessent tout ce qu’ils savent. Ils sont fiers de leurs inventions, comme des gamins pleins d’ambition. Même quand il s’agit des armes les plus meurtrières. Surtout là, d’ailleurs. »

Note: 4/5

Blog Note 4

6 réflexions au sujet de « L’assassin des ruines – Cay Rademacher »

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