
Cédric Bannel – Kaboul express (2017)
4ème de couv’…
Zwak, Afghan, dix-sept ans et l’air d’en avoir treize, un QI de 160, et la rage au cœur depuis que son père a été une « victime collatérale » des Occidentaux.
Devant son ordinateur, il a programmé un jeu d’un genre nouveau.
Un jeu pour de vrai, avec la France en ligne de mire.
Et là-bas, en Syrie, quelqu’un a entendu son appel…
De Kaboul au désert de la mort, des villes syriennes occupées par les fanatiques de l’État islamique à la Turquie et la Roumanie, la commissaire de la DGSI Nicole Laguna et le qomaandaan Kandar, chef de la Crim de Kaboul, traquent Zwak et ses complices.
Contre ceux qui veulent commettre l’indicible, le temps est compté.
Mon ressenti de lecture…
Tout d’abord, je remercie NetGalley et La Bête Noire de Robert Laffont pour l’envoi de ce roman!
Quel plaisir, mais quel plaisir de retrouver le qomaandaan Oussama Kandar, chef de la Crim de Kaboul, sniper exceptionnel et ancien compagnon de Massoud!
Quand Oussama est appelé sur les lieux d’un assassinat taxé de banal dans un bidonville de Kaboul, la découverte de quelques feuillets noircis d’équations mathématiques et d’une carte de Paris met le feu aux poudres.
C’est étrange, et surtout très inquiétant!
Il faut faire vite, prévenir la commissaire française de la DGSI, Nicole Laguna, avec qui Oussama avait déjà coopéré dans l’excellent Baad.
Crimes il y a et morts innombrables il y aura si l’enquête échoue! Une enquête anti-terroriste à 1.000 à l’heure à travers l’Afghanistan et toute l’Europe pour empêcher un attentat d’ampleur inégalée jusqu’à présent, sur Paris!
Ce roman est flippant parce que tellement réaliste! Anxiogène parce que ancré dans l’actualité. Le terrorisme frappe sans prévenir, les cœurs, les corps et les esprits.
C’est une guerre qui ne porte pas son nom quand ce sont des civils innocents qui sont touchés et surtout parce que nous, occidentaux, portons la culture de la vie alors que les terroristes utilisant Allah pour bouclier ont le culte de la mort.
Un roman trépidant, avec un suspens allant crescendo au fil du décompte des chapitres qui nous rapprochent de la date fatidique du 02 Mai. On retient son souffle et on tourne les pages en tremblant (oui, même si c’est une édition numérique!) parce que c’est du lourd: un génie se cache parmi les méchants, son plan semble infaillible et l’issue inéluctable!
Mais l’action, c’est bien pour les montées d’adrénaline mais ce n’est pas tout! Il y a de la réflexion derrière. De la réflexion et des questionnements!
Cédric Bannel possède une connaissance très pointue de l’Afghanistan et son analyse est très fine sur les luttes intestines auxquelles se livrent ce pays, ainsi que ses voisins. La haine se transmet de génération en génération, nourrit sans cesse les esprits tordus, alimentent les réactions plus ou moins désintéressées des pays occidentaux provoquant sans discontinuer des réactions toujours plus meurtrières. Il ne semble pas y avoir de fin possible…
Il nous alerte, avec le personnage de Zwak, sur le fait que les terroristes de tout poil ne sont pas à sous-estimer.
Si le choc culturel nous laisse apparaître les islamistes comme une bande de fous barbares, Cédric Bannel nous montre qu’en fait, les djihadistes et l’État islamique sont très organisés, que si leurs bras armés sont malades ou vus comme tels, leurs têtes pensantes, elles, peuvent être très intelligentes, posées, prévoyantes et calculatrices.
Le plan que Zwak mûrit est démoniaque, pensé jusqu’au détail le plus minuscule. Son côté autiste, dénué de toute émotion, rend la situation encore plus glaçante. Ce personnage est fascinant parce qu’il est jeune et qu’à travers lui, le lecteur peut appréhender les raisons qui poussent les jeunes à s’engager dans des groupes extrêmes comme DAESH.
Mais réelle foi, manipulation ou esprit de vengeance, Zwak est le seul à savoir et malgré sa fragilité, saura naviguer entre ces fanatiques totalement imprévisibles et incontrôlables!
Il a tout d’un ado « normal » avec son addiction aux jeux vidéos mais peut-on vivre dans la normalité quand le monde réel n’est perçu que par la succession de « level » à passer?
Qui dit « terroriste » dit « lutte contre le terrorisme » et ce roman qui nous balade à travers l’Europe, à partir de pays sous haute surveillance internationale, aborde également le sujet de la coopération des pays européens et américain dans cette lutte nécessaire. L’auteur survole les difficultés d’harmonisation des droits de l’homme entre les différentes parties, le souci d’informations et d’interaction entre les nombreux organismes d’état engagés dans cette entreprise ardue. Vaincre les fous d’Allah est loin d’être aisé!
Le mal est partout mais toujours et encore au cœur de l’Afghanistan, pays superbe mais meurtri par des décennies de guerre, souillée par les extrémistes, gangréné par la corruption et la pauvreté.
Avec les déboires de Malalai, l’épouse d’Oussama, on ressent le malaise de certains Afghans quant à l’évolution de leur pays. L’horizon s’assombrit mais faut-il pour autant baisser les bras?
Le retour d’Oussama dans sa région natale, le désert de la mort, est aussi le témoignage de l’évolution des peuples nomades commes les Baloutches, forcés de s’adapter au monde moderne au détriment de leurs traditions ancestrales sous peine d’extinction.
Et quand cette adaptation dans un territoire au cœur du Croissant d’Or passe par la culture du pavot et le trafic d’opium, on ressent à travers la tristesse d’Oussama que l’avenir, s’il est matériellement florissant, marque le deuil spirituel de toute un peuple.
Entre Malalai en Afghanistan et ses doutes grandissant, et Nicole en France que les fantômes de Baad poursuivent et risquent de rattraper, nous avons peut-être là les prémices du prochain roman à venir… to be continued…
Juste un mot sur l’image de la couverture: elle illustre un moment bref mais fort du roman alors merci pour ce choix réfléchi, elle est magnifique!
Le style de l’auteur m’a encore une fois transportée! Entre fiction (oui, oui, il faut que cela reste de la fiction!) et fondements réels, je suis restée scotchée dès la première page! Et malgré l’angoisse et la paranoïa engendrées par le simple mot de « terrorisme islamique », Cédric Bannel dépeint un pays qu’on arriverait presque à aimer… je dis bien presque…
Vous êtes où, le 02 Mai? Mmmmhh, j’espère que l’aube ne sera pas noire…
Citations…
« L’Afghanistan n’est plus un État (…) Il n’est plus que la juxtaposition d’ethnies rivales et de groupes aux intérêts antagonistes. Dans ce patchwork, les anciens de l’Alliance du Nord représentent l’un des plus puissants: avoir résisté aux Russes puis aux talibans crée des liens que même la mort ne peut effacer. »
« Swak n’aime pas parler, sa sociabilité est aussi réduite que ses émotions. »
« Kaboul Express: nom donné au réseau afghan de Daech qui permet à l’État islamique d’importer en Syrie et en Irak des combattants expérimentés en provenance du Khorasan, territoire comportant notamment l’Afghanistan et les zones tribales du Pakistan. »
« Combien de temps va prendre cet exercice délicat de la pelote? On la déroule sans savoir s’il reste un mètre ou mille, une journée ou dix ans de recherche. »
« L’homme obtempère. Première victoire, minuscule, mais un interrogatoire réussi est une suite de microsuccès. Chacun doit en amener un autre, afin de banaliser le fait de coopérer et de pousser insensiblement le suspect à abandonner ses défenses.
C’est un art difficile dans lequel Nicole excelle (…) »
« Ce projet pour frapper les infidèles au plus profond de leur dignité, il l’a imaginé pendant des années, peaufiné, précisé, structuré, organisé. »
« Qu’ils soient chrétiens, catholiques, protestants ou orthodoxes, qu’ils soient juifs orthodoxes, conservateurs ou progressifs, qu’ils soient bouddhistes, hindous ou sikhs, qu’ils soient capitalistes, communistes ou fascistes, ils se sont en fin de compte alliés les uns aux autres contre l’islam et les musulmans. «
« La seule religion de Malalai est la raison, son mantra est la science, elle est agnostique, crime puni de mort en Afghanistan. »
« Moins mes ennemis sont fréquentables, plus je le deviens moi-même, n’est-ce pas? »
« (…) les anciennes habitudes n’ont pas complètement disparu au sein des organes de sécurité des pays de l’Est, elles sont juste recouvertes d’un vernis de démocratie. »
Note: 4/5
Retrouvez toute la bibliographie de Cédric Bannel, ICI.
Et mon avis sur Le huitième fléau, LÀ et sur Baad, ICI